Entretien avec Clive Rose, photographe officiel de Gran Turismo (eSport)
Voilà quelques jours, nous avons eu la chance de nous entretenir avec Clive Rose, le photographe officiel des championnats eSport de Gran Turismo Sport. Fruit d’un partenariat signé entre Getty Images et Polyphony Digital. Réputé dans le monde de la photographie sportive réelle, l’intéressé nous donne des informations sur cette activité “nouvelle”, qui suit la tendance imposée par l’industrie vidéoludique.
LMSA – Après tant d’années à couvrir différents événements et photographier des voitures réelles, pourquoi passer maintenant au virtuel ?
Clive Rose – C’est une évolution naturelle, surtout en ce qui concerne la simulation de course automobile. En fait, nous (Getty Images, Ndlr) suivons l’esport depuis ses débuts. Nous avons conclu plusieurs partenariats dans ce domaine, pas seulement avec Gran Turismo mais également avec d’autres comme les W Series. L’écosystème de l’esport est en pleine croissance, surtout auprès des jeunes, des marques et des médias. De fait, il y a un besoin de contenus visuels de grande qualité pour toucher et attirer ce public. Bien avant l’épidémie du coronavirus et le report des grands événements sportifs, l’esport attirait déjà les mêmes types de médias et de sponsoring que ceux que l’on rencontre dans les sports traditionnels. Tout au long de nos 25 années d’existence, nous avons toujours été à la pointe de l’innovation dans la photo sportive. Proposer aujourd’hui à nos clients des visuels de grande qualité sur l’esport est une évolution logique.
LMSA – L’explosion de l’esport vous a-t-elle donné envie de vous impliquer plus dans les compétitions virtuelles ? Quelle est votre relation avec Gran Turismo, y avez-vous déjà joué ?
En ce qui concerne la simulation automobile, oui, j’y participe activement ! J’ai un certain âge, j’ai joué avec les tous premiers jeux de course. Par exemple, Formula One Grand Prix de Geoff Crammond, au début des années 90, puis avec les éditions suivantes. Plus tard dans cette décennie, j’ai joué au premier Gran Turismo, en 1997. J’ai été impressionné par le traitement de la physique ! Gran Turismo a été ma première expérience des voitures de course, surtout des Japonaises et des supercars de marques comme Nismo. J’ai joué – et je possède – toutes les versions successives de la franchise jusqu’à aujourd’hui, sur différentes plateformes. Du coup, comme beaucoup, cette série me tient particulièrement à cœur !
LMSA – Quelle est la principale différence entre faire des photos de courses virtuelles et réelles ? L’exigence est-elle la même pour les deux mondes?
La principale différence est que vous ne vous promenez pas dans le circuit, que vous ne maîtrisez pas le décor. Au fond, c’est la même chose, sans aucune restriction. J’ai pu utiliser directement tout ce que j’ai appris au long de ma carrière de photographe sur les circuits réels. L’aspect le plus curieux est que, dans le monde réel, il y a des limites à votre façon de travailler et de vous déplacer. Alors qu’en virtuel, vous êtes entièrement libre. Mais cela présente aussi d’autres défis. Dans le virtuel, vous êtes face à des choix illimités alors que le temps, lui, est limité. Vous devez donc choisir vos plans très précisément. Avoir fréquenté les circuits réels est un atout pour savoir où et à quel moment faire la bonne photo !
LMSA – Il semble plus simple de capturer un moment unique d’une course virtuelle, avec les replays et tous les angles disponibles par le jeu, qu’en réel, où il faut être au bon endroit au bon moment. N’est-ce pas moins excitant ?
C’est certainement plus accessible. Cela dit, comme c’est en train de devenir la norme, ou presque, vous devez être prêt à faire la meilleure photo possible à tout moment. Je crois que, parce que c’est un espace virtuel, on attend que vous fassiez des photos incroyables tout le temps. Vous pouvez probablement faire plus de bonnes photos mais toutes les situations ne se prêtent pas à faire une photo extraordinaire. Parfois, quel que soit l’angle que vous prenez, l’image n’est pas si belle que ça. Comme dans la vraie vie, le moment de la journée est important. Quand la course se déroule à une heure où la lumière est flatteuse, vous pouvez être plus créatif, jouer avec les ombres, etc. Mais si le ciel est nuageux, la photo va manquer de relief. En matière de photographie, certaines choses ne changent pas, même dans le monde virtuel !
LMSA – Pour des amateurs, l’appareil photo du jeu Gran Turismo semble assez complet. Quel est votre avis de pro ?
Honnêtement, je dirais qu’il est tout à fait à la pointe du marché. Ce que Polyphony Digital et Kazunori Yamauchi ont réussi à faire, surtout pour GT Sport, est assez étonnant. L’appareil offre beaucoup de caractéristiques identiques à celles de mes appareils. Et la fonctionnalité “cross over” permet une grande créativité. Il faut souligner qu’il y a une différence entre prendre des captures d’écran d’images à l’arrêt dans le jeu et exploiter toutes les fonctions d’un appareil pour réaliser une image. Ce sont deux choses complètement différentes. Je sais combien Yamauchi, qui est un photographe passionné, et son équipe, se sont investis dans cet aspect de Gran Turismo, et ça se voit ! Je suis impatient de voir comment tout cela va évoluer et ce que sera la prochaine étape.
LMSA – Hormis Gran Turismo, quels jeux, au sens large, vous intéressent pour leur côté visuel, photographique ?
Récemment, j’ai été vraiment fasciné par la dimension créative de jeux comme Death Stranding de Hideo Kojima et de Horizon Zero Dawn. C’est intéressant de voir l’importance que les producteurs accordent au mode photo qu’ils intègrent à leurs jeux. Ceux qui s’intéressent au cinéma et à la photo prennent vraiment le temps de développer des outils qui permettent aux joueurs d’exprimer leur propre créativité dans le jeu, ce qui est fantastique. Et la communauté de la photographie virtuelle apprécie ! C’est un univers qui prend son envol.
LMSA – Est-il désormais possible de faire carrière dans la photographie virtuelle ? Quels conseils donneriez-vous à un gamer qui souhaite prendre de bonnes photos sur Gran Turismo ?
Si vous parlez d’une carrière professionnelle, je pense que ce sera possible à l’avenir. Pour l’instant, il s’agit plus d’un mode d’expression personnel des joueurs. Cela dit, la photographie virtuelle offre des opportunités et certains proposeront leurs images à des éditeurs de jeux pour leurs supports de présentation. Les plateformes de partage d’images sont à l’affût et je vois bien que de nombreux joueurs sont en train de conforter leur présence sur les réseaux sociaux, ce qui est une bonne chose. Comme pour tous les nouveaux marchés, il faut du temps pour percer. Le conseil que je donnerais est : laissez votre personnalité s’exprimer, ne cherchez pas à suivre d’autres styles que le votre, créez votre propre style. Explorez à fond le support que vous utilisez pour le connaître parfaitement et en tirer tout le potentiel. Aussi incroyable que cela paraisse, les meilleurs photographes ne sont jamais totalement satisfaits de leur travail. Ils trouvent toujours que quelque chose pourrait être amélioré. Même dans le monde virtuel !
LMSA – La pandémie de Covid-19 a-t-elle changé votre rapport au sport réel ?
Il va sans dire que cette pandémie a eu un impact sur la façon dont nous couvrons les événements dans la vraie vie. Cela a aussi rendu notre équipe plus créative. Par exemple, le confinement a amené les photographes du département « divertissement » à prendre des photos sur Zoom ou sur FaceTime. Certains ont expliqué à des célébrités comment mieux s’éclairer, où mettre la caméra de leur smartphone pour qu’ils puissent prendre la meilleure photo. Dans le sport, les événements “en vrai” reprennent peu à peu. Nous avons couvert la Bundesliga. Nous sommes aussi parmi les rares autorisés à prendre des photos de la Premiere League, dans des stades fermés au public. Le tout en respectant les règles de distanciation, bien entendu ! La simulation automobile a particulièrement progressé en 2020. Cela a augmenté le besoin d’images qui racontent ses moments et ses histoires comme, par exemple, la collision entre Simon Pagenaud et Lando Norris sur le circuit d’Indianapolis pendant le championnat esport Indycar. Cela montre qu’il est important de documenter ces événements de la même façon que ceux du monde réel pour les inscrire dans l’histoire et pouvoir s’y référer.
LMSA – Avez-vous le sentiment d’avoir « fait le tour » de la photographie réelle ?
Certainement pas ! Je crois que l’on n’atteindra jamais le bout ou la limite de la photographie dans la vie réelle. Après tout, chaque jour est différent. Quand vous assistez à un événement sportif, même si la piste, le stade, le public sont plus ou moins les mêmes, nous ne savons pas ce qui peut arriver, nous devons être prêt à tout, et même à l’inconnu ! Ce sur quoi nous devons encore avancer, c’est l’innovation et les différentes façons de prendre des photos. Un peu comme ce qu’il se passe avec Gran Turismo. Jusqu’à maintenant, l’esport a peut-être été perçu comme quelque chose que l’on photographie sur une scène avec des adversaires qui regardent leurs écrans et qui réagissent lorsqu’ils gagnent ou perdent une partie. Ce qui change avec Gran Turismo, c’est que nous sommes à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du jeu à tout moment. C’est unique et, d’après moi, c’est ce qui mérite vraiment que l’on poursuive dans cette voie.
Had the pleasure to participate in an interview with @sylv1gtr @LeMagSportAuto 🇫🇷 recently about working within the Gran Turismo landscape #granturismo #gettyimages https://t.co/g0XmCdX3hc
— Clive Rose (@cliverose) July 10, 2020